dimanche 24 juillet 2011

Déluge au pays du Baas de Omar Amiralay

Déluge au pays du Baas est le titre qu’a donné Omar Amiralay, cinéaste syrien mort en février dernier, à son film documentaire réalisé en 2003 et que l’on pourrait appliquer s’il l’on voulait filer la métaphore, au soulèvement que connaît la Syrie depuis le mois de mars.
Le film est d’une grande simplicité. En apparence, rien qui soit directement subversif. Une caméra qui enregistre les propos du plus vieux des députés syriens, siégeant depuis 40 ans au parlement et d’un directeur d’école primaire, neveu du premier et membre du parti, évidemment. Le film est interdit en Syrie et il a été retiré in extremis, à la demande de l’ambassade syrienne, du programme des JCC en 2006. C’est grâce à une manifestation de solidarité organisée par le collectif Liberté pour la Syrie à El-Teatro que nous avons pu enfin le voir.
Les premières images sont d’une beauté saisissante : gros plans sur des pieds craquelés suivis de plans où on voit aussi une terre craquelée. Images qui correspondent à une autocitation de l’un des premiers films de Omar Amiralay, un documentaire aussi, sur un barrage construit par Hafedh Assad au début de son règne. Par cette autocitation, le cinéaste revient sur débuts au cinéma et fait en quelque sorte son mea culpa. Ce film de jeunesse participait de l’épopée d’un régime bâtisseur et modernisateur qui n’avait sans doute pas encore dévoilé son visage sanguinaire. D’autres images suivront montrant une barque voguer lentement sur une mer artificielle résultant d’un détournement du cours du fleuve de l’Euphrate suite à la construction du barrage. Le personnage à bord nous explique que la mer avait fait disparaître toute une région avec ses constructions. Au moment où il nous parle, il localise l’endroit où se trouvait sa maison. Ce qu’on voit par la suite, entretiens avec le député et le directeur d’école, n’est que le développement métaphorique d’une présence envahissante qui inonde tout sur son passage. L’inondation est le propre d’un discours de propagande qui se transforme en une logorrhée autiste dans sa célébration du régime et du guide immortel. Nous ignorons du reste si le député est sincère dans sa célébration du régime. Nous avons l’impression que tout son discours, faisant part à moment donné de sa participation à la répression du soulèvement islamiste à Hama, procède d’une sorte de cécité. Le discours du directeur d’école exerçant sous le règne de Bachar Al-Assad n’est pas très différent (aucune rupture de génération, aucune rupture entre Assad père et fils). Mais le discours est accompagné aussi de la mise en scène d’un rituel scolaire où tout est assujetti à la propagande du régime : élèves en uniformes militaires regroupés dans la cour de l’école scandant slogans de célébration, hommage matinal et quotidien à Bachar, entrée disciplinée dans les salles de classe, où on chante la gloire du régime, lecture de textes où la propagande s’insinue dans les images stéréotypées de la célébration lyrique du régime (le maître ne relève même pas les fautes de langue), suivis d’un jeu de questions réponses on ne peut plus idiotes qui reproduisent le contenu des textes et les transforment en slogans. Commentant le rituel, le maître d’école précise que Hafedh Assad s’était inspiré d’un rituel scolaire nord-coréen. Vers la fin du film, le directeur exhibe le matériel informatique reçu par l’école et inscrit dans un projet de modernisation, matériel encore empaqueté et siégeant dans une salle vide. L’exhibition est évidemment accompagnée d’un discours de propagande nauséabond par son archaïsme. C’est là où réside à mon sens la puissance du film qui ne force absolument pas la réalité : il suffit de faire parler des représentants du régime, de donner à voir la mise en scène d’un rituel imposé à des enfants qui répètent comme des perroquets et qui restent tout de même touchants par leur maladresse qui est la marque même d’un comportement instinctivement réfractaire à la propagande pour que se dévoile l’archaïsme d’un régime se prévalant au départ d’une certaine modernité, de cette modernité célébrant le progrès qui a conduit au totalitarisme et qui paraît aujourd’hui tellement surannée (telle est la vraie signification des premières images issues de l’un des premiers films du cinéaste : le retour sur ces premiers pas de cinéaste participant de la geste de l’œuvre bâtisseuse d’un régime dénonce a posteriori sa propre célébration mais également un progrès qui s’est voulu maître et possesseur de la nature et broyeur des hommes).
Omar Amiralay n’a pas choisi de montrer la machine répressive du parti ou du régime. Sa caméra a enregistré ce qu’il y a en apparence de plus banal, de plus prosaïque dévoilant par là même la dégénérescence, la mesquinerie et le ridicule d’une dictature striée de craquelures (nous retrouvons à la faveur de cette lecture les première images du film). Je me dis aussi que cette lecture est le fruit d’un tropisme : mes regards sont braqués sur les images d’une foule qui se soulève dans toutes les villes de Syrie. Après avoir vu le film, mes amis et moi, avons tremblé à l’idée que ces enfants que le régime a tenté d’endoctriner (ils devaient avoir treize ans au moment où le film a été tourné) sont maintenant dans les rues. Nous avons tremblé parce que ces enfants, qui ne le sont plus aujourd’hui, participent à la regénérescence d’un monde que la pourriture avait inondé (j’emprunte cette image à Dominique Eddé qui a présenté une communication, où elle a filé la métaphore naturelle de la pourriture et de la renaissance, dans le cadre du séminaire conjointement organisé par l’Université des libertés et le site Al-Awan les 12, 13, 14 juillet à Hammamet : les intellectuels et les soulèvements arabes) et parce qu’ils sont en train de se faire massacrer par la machine de guerre d’une dictature qui s’agrippe encore à son pouvoir désuet. Mais une chose est sure : il y a aujourd’hui un contre-déluge, un ras de marée, celui d’un peuple aspirant à la liberté.
Insaf Machta.