Les films syriens réalisés à
partir de 2011 nous mettent en présence de propositions différentes en ce qui
concerne les lieux filmés et la manière de les filmer. Une échelle pour
Damas de Mohamed Malas est une fiction tournée quasiment de bout en bout en
intérieur. Le Sergent immortel de Ziad Kalthoum est filmé en revanche pour
l’essentiel en extérieur. L’une des leçons de ce dernier film est qu’il est impossible
de filmer aujourd’hui en Syrie sans que les images ne portent la trace du chaos,
pas seulement par ce qu’elles donnent à voir mais par la manière dont elles
sont filmées : caméra mobile et sous l’emprise du chaos environnant.
Le parti pris de Hazem Alhamwi,
qui est à la fois peintre et cinéaste, dans Une chambre syrienne est en
apparence semblable à celui de Malas à la différence près, et c’est à mon sens
une différence de taille, que le cinéaste s’en explique à deux reprises :
il avoue vers le début du film avoir eu peur de manifester et il ajoute un peu
plus loin que porter une caméra équivaut à avoir une arme et que le régime ne
fait pas la différence. A partir de là et en dépit de la contrainte, filmer en
intérieur semble pleinement assumé : le parti pris de l’enfermement
devient symptomatique de la situation d’un peuple confiné, retranché chez soi
et dans son for intérieur. De ces intérieurs, on voit à vrai dire très peu de
choses, ce sont plus tôt des visages qu’on voit, des visages découverts ou
masqués qui témoignent soit du présent soit de ce qu’a été leur vie pendant
toutes ces longues années de dictature. Au début, les images tournées dans la
cour d’une école ou à l’intérieur d’une salle de classe déclinent autrement
l’idée de l’enfermement car c’est de l’embrigadement des enfants par le régime
qu’il s’agit, images qui font d’ailleurs échos à Déluge au pays du Baas de
Omar Amiralay.
Le film établit aussi une
continuité entre deux expressions artistiques : le cinéma et le dessin. L’écran
se transforme par moments en une toile et on voit aussi Hazem Alhamwi dessiner dans
sa chambre de manière frénétique qui laisse entendre que le dessin est une thérapie
pour lui. La représentation de la destruction par le dessin et sa projection
sur l’écran est une tentative de surmonter l’impossibilité de la captation du
chaos par la caméra, raison pour laquelle la visualisation du dessin est
accompagnée parfois d’une bande sonore qui donne à entendre des slogans, des
cris de manifestants et des bruits de balles. Le même parti pris est adopté
dans le traitement de l’anonymat des témoins. Au procédé classique qui consiste
à laisser le visage du témoin dans l’ombre, le cinéaste ajoute un autre procédé :
un masque dessiné par lui où les traits du visage sont constitués par une sorte
de trame tissée traitée numériquement. Du coup, les témoins sont dotés d’un
visage qui est le fruit d’un artifice d’artiste, une sorte de seconde identité
qui préserve leur anonymat.
Par ces partis pris, le film
semble apporter une réponse à la question de la représentation de ce qui ne
peut être montré.
Insaf Machta