samedi 25 avril 2015

For(t) intérieur : Une chambre syrienne de Hazem Alhamwi


Les films syriens réalisés à partir de 2011 nous mettent en présence de propositions différentes en ce qui concerne les lieux filmés et la manière de les filmer. Une échelle pour Damas de Mohamed Malas est une fiction tournée quasiment de bout en bout en intérieur. Le Sergent immortel de Ziad Kalthoum est filmé en revanche pour l’essentiel en extérieur. L’une des leçons de ce dernier film est qu’il est impossible de filmer aujourd’hui en Syrie sans que les images ne portent la trace du chaos, pas seulement par ce qu’elles donnent à voir mais par la manière dont elles sont filmées : caméra mobile et sous l’emprise du chaos environnant.

Le parti pris de Hazem Alhamwi, qui est à la fois peintre et cinéaste, dans Une chambre syrienne est en apparence semblable à celui de Malas à la différence près, et c’est à mon sens une différence de taille, que le cinéaste s’en explique à deux reprises : il avoue vers le début du film avoir eu peur de manifester et il ajoute un peu plus loin que porter une caméra équivaut à avoir une arme et que le régime ne fait pas la différence. A partir de là et en dépit de la contrainte, filmer en intérieur semble pleinement assumé : le parti pris de l’enfermement devient symptomatique de la situation d’un peuple confiné, retranché chez soi et dans son for intérieur. De ces intérieurs, on voit à vrai dire très peu de choses, ce sont plus tôt des visages qu’on voit, des visages découverts ou masqués qui témoignent soit du présent soit de ce qu’a été leur vie pendant toutes ces longues années de dictature. Au début, les images tournées dans la cour d’une école ou à l’intérieur d’une salle de classe déclinent autrement l’idée de l’enfermement car c’est de l’embrigadement des enfants par le régime qu’il s’agit, images qui font d’ailleurs échos à Déluge au pays du Baas de Omar Amiralay.

Le film établit aussi une continuité entre deux expressions artistiques : le cinéma et le dessin. L’écran se transforme par moments en une toile et on voit aussi Hazem Alhamwi dessiner dans sa chambre de manière frénétique qui laisse entendre que le dessin est une thérapie pour lui. La représentation de la destruction par le dessin et sa projection sur l’écran est une tentative de surmonter l’impossibilité de la captation du chaos par la caméra, raison pour laquelle la visualisation du dessin est accompagnée parfois d’une bande sonore qui donne à entendre des slogans, des cris de manifestants et des bruits de balles. Le même parti pris est adopté dans le traitement de l’anonymat des témoins. Au procédé classique qui consiste à laisser le visage du témoin dans l’ombre, le cinéaste ajoute un autre procédé : un masque dessiné par lui où les traits du visage sont constitués par une sorte de trame tissée traitée numériquement. Du coup, les témoins sont dotés d’un visage qui est le fruit d’un artifice d’artiste, une sorte de seconde identité qui préserve leur anonymat.

Par ces partis pris, le film semble apporter une réponse à la question de la représentation de ce qui ne peut être montré.


Insaf Machta       

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