La scène primitive de ce court métrage intitulé Comment recadrer un hors-la-loi en tirant sur un fil, à
contre courant de toutes les définitions univoques de l’identité nationale et
des classements génériques habituels, qu’il dynamite en faisant de la liberté
formelle le corollaire d’une fantaisie ludique, se trouve sans doute dans le dernier film
de Lamine Ammar-Khodja Sans cinéma (bien que Comment recadrer un hors-la-loi... soit antérieur). Ce que nous identifions comme une scène primitive est plus précisément de la
dernière séquence de Sans cinéma tournée dans la salle Sierra Maestra qui devient le
lieu d’une fête de fin d’année organisée par une école publique : Lamine
Ammar-Khodja filme une représentation où des enfants incarnent des dimensions contigües
de l’identité nationale et dessinant les contours d’une identité monolithique, objet
d’un discours de propagande. Comment recadrer un hors-la-loi… répond à
cette scène primitive sans doute issue de l’enfance du cinéaste lui-même par
des retrouvailles heureuses avec l’esprit de l’enfance.
L’esprit ludique recadrant le
débat réside dans la construction d’un dispositif. Le fil rouge dont il est
question dans le titre est visible dès les premiers plans : ligne à linge
rouge, trait rouge tracé sur le mur d’un bâtiment abandonné sur lequel figurent
des inscriptions dans une langue étrangère et qui dynamitent les stéréotypes
des indices de l’appartenance à une communauté. Le jeu est dans la construction
d’un matériau métaphorique dont la signification est volontairement indécise
comme le sont toutes les identités. Le matériau métaphorique est à contre
courant des métaphores usuelles du fil rouge, de la ligne rouge à ne pas
franchir et du « recadrage » dans le sens répressif du terme. Ce
qu’il y a au cœur du dispositif filmique, c’est plutôt le décadrage : dans
les séquences documentaires où le réalisateur recueille des propos de jeunes
qui parlent de leur manière d’être dans des identités multiples, la caméra
abandonne les personnages dont la voix nous parvient du hors champ pour balayer
le plafond du lieu abandonné où ils se trouvent donnant à voir quelque chose de
non cadrable. La démarche est ainsi aux antipodes du recadrage dans le sens de remettre
au centre d’un cadre, circonscrire un sujet, un débat en l’enserrant dans les
limites du cadre parce qu’il s’agit dans le film de « déplacer sa
vision » et de « placer sa division » et « déplacer sa
vision » est tributaire d’un décadrage ludique, d’une négation à la fois
joyeuse et quelque peu désenchantée des définitions qui figent. L’aboutissent
de ce travail de décadrage et de déplacement consiste à suivre un personnage
sur une route en faisant entendre en guise de commentaire des phrases extraites
de L’Etranger de Baudelaire dont la forme parle aussi à l’enfant
réfractaire qui est en nous. C’est par la constitution d’un matériau
hétéroclite puisant dans le réel, dans la littérature et dans un dispositif
imagé, fruit de la fantaisie du réalisateur, que le film de Lamine Ammar-Khodja
oscille entre l’essai, le poème et le documentaire.
Insaf Machta
Article publié dans le Quotidien des Rencontres internationales des cinémas arabes de Marseille (session 2015)
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