mercredi 5 juin 2013

De Soif à Derniers jours à Jérusalem : les conflits intimes de Tewfik Abu Waël

De Soif à Derniers jours à Jérusalem : les conflits intimes de Tewfiq Abu Waël Aussi bien dans Soif (Atash), premier long métrage de Tewfiq Abu Waël, que dans Derniers jours à Jérusalem (Tanathour), le conflit israélo-palestinien n’est pas représenté. Ce parti pris, radical dans Soif, est valable aussi pour le dernier film de Tewfiq Abu Waël même si le choix de Jérusalem-Est comme décor ne peut pas soustraire totalement le vécu du couple à la réalité du conflit qui est suggéré par certains lieux filmés. Dans Soif, la fiction se déploie dans un no man’s land qui devient le théâtre d’une tragédie intime qui n’a quasiment rien à voir avec la tragédie sur laquelle se braquent les caméras du monde au Proche Orient. Ce déplacement du regard chez Tewfiq Abu Waël repose dans sa première fiction sur le déplacement volontaire du personnage principal qui a obligé sa famille à survivre dans un lieu désert pour fuir le déshonneur lié au viol de l’une des ses filles : il avait le choix entre la tuer et quitter le village. Mais le départ s’accompagne d’une grande violence faite à soi et aux proches, une violence rentrée dont l’absence de communication et le choix d’un environnement hostile sont les principales manifestations. Le père qui entraîne toute la famille sur la voie d’une lutte acharnée pour la survie cherche à couper ses proches de tout contact avec autrui. Ce choix tyrannique qui est une réponse extrême à un ordre social archaïque est ambivalent : on y voit une rupture par rapport à la tradition de la mise à mort de la femme violée mais la rupture est aussi enfermement dans la souffrance de l’honneur bafoué et il s’accompagne d’un bras de fer sourd avec les proches et d’une tension intérieure chez le personnage principal. Dans ce conflit qui procède d’un déplacement volontaire, un seul élément contextuel subsiste : comme le père a détourné une source d’eau, il craint les patrouilles de l’armée israélienne dont on ignore du reste si elles sont réelles ou fantasmées et on aboutit de ce fait à une confusion entre l’ennemi intérieur et extérieur. Dans Derniers jours à Jérusalem, le cinéaste a choisi un tout autre milieu : une bourgeoisie qui n’a pas à lutter pour sa survie et qui est loin d’être aux prises avec un quelconque archaïsme. Le conflit se situe au sein d’un couple moderne qui semble se débattre contre ses propres démons qui demeurent hors de portée pour le spectateur autant que pour les personnages. Seules les manifestations d’une vie de couple en voie de dissolution se déploient tout au long du film. Cependant, cette dissolution qui est de l’ordre de l’intime n’a-t-elle pas quelque chose à voir avec le contexte du moins dans son versant existentiel, émanation d’un climat où le choix de l’exil, la proximité de la mort, les frontières sont les principales caractéristiques ? Il n’est pas anodin que la toute première rencontre du couple ait lieu dans un hôpital : Nour va voir Iyed, une vieille connaissance de sa mère, pour lui demander de la faire avorter. On les voit ensuite partir dans une voiture et longer le mur séparant Israël des Territoires, puis interpellés par des soldats israéliens à qui ils refusent de parler hébreu et à qui ils sont obligés de mentir vu que Nour n’a pas sa carte d’identité : nous sommes mari et femme. C’est cette scène qui scelle le destin du couple qu’on retrouve quelques années plus tard en proie à un mal être indéfinissable qui les pousse manifestement à choisir la voie de l’exil sans que les motivations réelles de ce choix ne soient élucidées. Il n’est pas anodin non plus que ce qui diffère le voyage à Paris soit un coup de fil de l’hôpital où exerce Iyed : il y a eu un accident de bus et Iyed doit se rendre immédiatement à l’hôpital. Ce qui le retient donc, c’est le fait de se battre contre la mort. Et sur le plan strictement scénaristique, le report de l’exil sert à explorer l’errance de Nour livrée à elle-même : retour chez sa mère qui révèle une rivalité quasi bergmanienne entre deux femmes et deux artistes (la mère est peintre, la fille est comédienne) et une difficulté d’aimer, aventure amoureuse de Nour avec un dramaturge, une lamentable prestation sur scène qui fait penser à la dérive de la comédienne de Opening night de Cassavetes dans les coulisses. Errance et désamour semblent meubler cet espace-temps qui sépare Nour de l’exil. Et du côté de Iyed, il y a la fatigue, le sommeil à rattraper après les nuits blanches de l’hôpital, l’atrophie du désir, une scène de jalousie qui tourne court et surtout l’échec à sauver la vie d’un enfant, échec qui est à mettre sur le même plan que l’extinction du désir. C’est sur cette toile de fond désastreuse que se dessine la voie de l’exil. Dans la dernière séquence, Nour et Iyed sont dans un café parisien, ultime décor de l’ultime « scène de la vie conjugale » : la séparation (définitive ?) du couple suite à la disparition de l’homme. Tout au long du film, le couple a autant de mal à quitter un pays qu’à se quitter. L’exil serait-il ainsi le lieu de l’accomplissement de ce qui n’a pas pu être accompli avant : la séparation du couple ? Insaf Machta, paru sous une forme contractée dans le Quotidien des Rencontres (internationales des cinémas arabes de Marseille).

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