mardi 27 juillet 2010

Note de lecture : Le livre des illusions de Paul Auster

Ce roman du prolifique Paul Auster n’est pas des plus récents (2002) mais c’est le dernier que j’ai lu de lui (il en a écrit d’autres depuis aussi époustouflants les uns que les autres : Brooklyn follies, Seul dans le noir, Invisible, pour ne citer que ceux-là).
La force du Livre des illusions tient à la conjonction heureuse et tragique de l’art et de la vie. Les interférences ne se réduisent pas à l’artifice qui consiste à mettre en scène des personnages d’artistes ou d’écrivains. Elles vont bien au-delà. L’art entre en interaction avec ce qu’il y a de plus essentiel : l’amour et la mort.
Un universitaire du nom de David Zimmer, ayant beaucoup écrit sur la littérature, est sauvé du désespoir où l’a plongé la mort de sa femme et de ses deux enfants dans un accident d’avion grâce à une œuvre, un film burlesque signé par un certain Hector Mann, auteur oublié du muet, découvert dans un documentaire sur le cinéma muet. Cette découverte donne de nouveau un sens à la vie de cet universitaire reclus depuis la catastrophe qui a emporté les siens et le sens s’insinue d’abord par le rire et par un processus lent et douloureux qui l’arrache progressivement à un deuil statique. Il se met à la recherche des films d’Hector Mann qui se trouvent dispersés et conservés dans différentes cinémathèques et il lui faut pour cela surmonter l’épreuve de l’avion à l’aide d’un médicament qui l’abrutit pendant le vol. Après avoir visionné tous les films plusieurs fois, il ne se laisse absolument pas détourner de son projet d’écrire un livre sur le cinéaste, le seul qu’on ait jamais écrit sur lui – Hector Mann, ayant disparu d’une façon mystérieuse en 1929, est complètement tombé dans l’oubli peu de temps après – et le premier que David Zimmer consacre au cinéma – avant la découverte de l’œuvre de d’Hector Mann, le cinéma était perçu par l’universitaire comme un divertissement pouvant difficilement être porteur d’une idée forte. Son projet ayant pris fin, on lui confie la tâche de traduire Mémoires d’outre tombe de Chateaubriand. Le récit de l’expérience de l’écriture et de la traduction fait du roman de Paul Auster un commentaire de deux œuvres : fictive – celle d’Hector Mann – et réelle – celle de Chateaubriand. La porosité de l’écriture de Paul Auster apparaît à travers des exercices de transposition : les films fictifs d’Hector Mann sont amplement décrits et commentés par celui qui se donne pour tâche d’écrire sur le cinéaste et de nous raconter à la première personne l’histoire de sa rencontre avec le virtuose du muet et du livre en train de s’écrire. David Zimmer traducteur ouvre aussi le roman de Paul Auster à un exercice de critique littéraire. Et c’est un autre type de rapport entre l’art et la vie qui est appréhendé à la faveur du commentaire de l’œuvre de Chateaubriand. Le traducteur, s’accrochant à l’écriture comme planche de salut, comme une lutte contre l’enlisement dans la mémoire des morts, est confronté avec Chateaubriand à la figure d’un écrivain qui, prenant de l’âge en étant criblé de dettes, est contraint de vendre de son vivant une œuvre censée être posthume, ses mémoires d’outre tombe où il fait part de son attente de la mort et des tourments que lui cause sa propre longévité.
C’est au cours de ce deuxième projet d’écriture, la traduction, que Divid Zimmer est de nouveau mis sur la voie d’Hector Mann. Il reçoit des lettres de la femme du cinéaste qui le sollicite pour venir au chevet de son mari et pour voir les films qu’il a réalisés bien après 1929. Incrédule, David Zimmer ne répond pas à l’invitation jusqu’à ce qu’une jeune femme envoyée par Hector Mann lui-même débarque chez et l’entraîne dans l’aventure, une aventure où il s’agira d’abord de prendre l’avion en compagnie d’Alma dont David est désormais amoureux et d’entendre le récit rocambolesque de la seconde vie d’Hector Mann (complicité dans une affaire de meurtre accidentel, disparition, changement d’identité, rencontre et mariage avec une femme exceptionnelle, installation dans un ranch dans le désert et renaissance du cinéaste). David apprend que la seconde partie de l’œuvre du cinéaste réalisée de manière artisanale au ranch est vouée à la destruction (tel est, semble-t-il, le vœu de l’auteur) 24h après sa mort, une œuvre que personne n’a vue et qui n’aura aucune postérité. Hector Mann meurt la nuit où David arrive au ranch et sa veuve hâte la destruction de son œuvre contre l’attente d’Alma et enfreint ainsi l’une des clauses du testament du cinéaste. David n’aura l’occasion de ne voir qu’un film d’Hector Mann. Le même sort est réservé à la biographie de six cents pages sur laquelle travaille Alma depuis des années. Cette destruction est l’œuvre de Frida, la femme d’Hector. C’est le dernier autodafé du roman qui entraîne d’ailleurs la mort accidentelle de Frida violemment poussée par Alma, au moment où elle découvre la disparition de son ordinateur et le brasier qui a été fait du manuscrit, et le suicide d’Alma. On a du mal à la fin du roman à se frayer un chemin à travers les fumées de ces autodafés des films et des pages censés effacer les traces d’une seconde vie. Seconde vie dérobée aussi à David Zimmer avec la mort d’Alma. A la fin du roman, on le retrouve aux prises avec les Mémoires d’outre tombe et caressant l’espoir que des copies des films du second d’Hector Mann auront été sauvées et secrètement confiées par Alma à des institutions qui en prendront soin.
C’est aussi à David que Paul Auster attribue la rédaction du livre qui raconte de bout en bout l’existence d’Hector Mann, Le Livre des illusions, et qui arrache des bribes de la vie de l’homme et de l’œuvre à l’apocalypse des autodafés, regénérant ainsi à l’infini les liens qui se tissent entre la mort, l’art et la vie.

Insaf Machta

2 commentaires:

  1. Superbe je viens de découvrir ton texte et ça m'a permis de replonger dans l'univers de Paul Auster que tu décris si bien.

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  2. Décidément! Des découvertes décalées; je viens de m'apercevoir que tu as laissé un commentaire sur cet article, le premier enregistré sur mon blog. Merci, ça me fait plaisir. Ton appréciation me remonte le moral (je l'ai trouvé un peu plat ce texte qui, objectivement, colle un peu trop au roman). Je voulais juste écrire pour ne pas oublier ce superbe roman de Paul Auster.

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